Jean Baptiste Barthélémy d’Orbanne

C’est en sortant de la visite d’une exposition à l’ancien musée de peinture (Place de Verdun) que je vis le nom de Barthélémy d’Orbanne. Ce nom était gravé dans le marbre de l’entrée du musée – comme plusieurs dizaines d’autres – comme fondateurs de la bibliothèque de Grenoble en 1772.

En souriant, je me suis dit que cela ferait une excellente « question mystère » pour le P’tit Tambour. Mais ma curiosité était aiguisée et je fis quelques recherches sur Jean Baptiste BARTHELEMY d’ORBANNE.
L’histoire aurait pu en rester là, mais un coup de téléphone quelques semaines plus tard raviva notre intérêt. Un étudiant en histoire travaillant sa thèse sur Jean Baptiste BARTHELEMY, cherchait à retrouver la maison familiale des BARTHELEMY.

L’article suivant de M. Kastler nous donne un premier éclairage sur le personnage. Une conférence sera donnée par M Kastler à St Martin de Clelles pour compléter ses informations et percer quelques mystères de notre histoire. Ayant pu retrouver une descendance à Paris et surtout un tableau portrait de Jean Baptiste. Nous avons fait réaliser une photo de ce tableau, et nous l’exposerons bientôt avec les portraits des 2 autres illustres personnages de St Martin de Clelles dans la salle du conseil.

Robert Cartier – Le Petit Tambour N°33

La Révolution est-elle née à Saint-Martin de Clelles ?

par Jean Loup KASTLER
Historien du Dauphiné , doctorant à Paris 1

Dans le chapitre V de Vie de Henry Brulard intitulé « Petits souvenirs de ma première enfance », Stendhal fait référence à un certain Barthélémy d’Orbanne, ami de son grand-père qui lui apprit à faire des choses bien utiles : « M. Barthélémy d’Orbanne m’apprit à faire des grimaces – je le vois encore et moi aussi. C’est un art dans lequel je fis des rapides progrès ; je riais moi même des mines que je faisais pour faire rire les autres. Ce fut en vain qu’on s’opposa bientôt au goût croissant des grimaces, il dure encore, je ris souvent des mines que je fais quand je suis seul. »
Tout le monde ne peut pas se vanter d’avoir eu un maître ès grimaces aussi qualifié que celui de Stendhal comme l’écrivain le reconnaît d’ailleurs : Jean-Baptiste-Joseph Barthélémy d’Orbanne était « le plus célèbre avocat consultant de la ville, l’oracle en matière de droit, belle place dans une ville de Parlement ».
Issu d’une famille implantée depuis des générations à Saint-Martin-de-Clelles, Barthélémy d’Orbanne avait hérité de son père la charge d’avocat consistorial au Parlement du Dauphiné et fut l’un des membres fondateurs de la bibliothèque publique de Grenoble aux côtés de son beau-frère, le maître gantier Gaspard Bovier et du docteur Henri Gagnon, le grand-père de Stendhal. Ami des arts, il participa aux travaux de l’académie delphinale, société savante créée à Grenoble en 1772. Son frère François-Régis occupait une position importante à Grenoble en tant que chanoine théologal de la cathédrale. Sa mère Françoise Du Boys appartenait à une puissante famille de la robe dauphinoise. Les deux frères étant morts sans enfant, ce fut le neveu des frères Barthélémy, Albert Du Boys, qui hérita de leurs biens et de leurs papiers dont un magnifique tableau représentant l’avocat posant sa main sur ce qui semble être un livre de droit. De fait, le droit est la grande affaire de la vie de Barthélémy d’Orbanne. Il en a une vision éclairée et humaniste, probablement influencé en ce sens par son ami l’avocat général Michel-Antoine Servan qui fut l’un des propagateurs de l’œuvre de Beccaria en France (1). A la demande de l’intendant de la Province, il rédigea un mémoire sur les « hommes delphinaux », hommes libres relevant directement de la justice du Parlement du Dauphiné dont on trouve de nombreux exemples dans le Trièves et plus particulièrement à Saint-Martin de Clelles depuis le Moyen Âge.

A la fin des années 1760, il rencontre Rousseau grâce à son beau frère Gaspard Bovier à l’occasion d’un pique-nique donnant lieu à une promenade digestive sur les hauteurs de Grenoble : « Nos dames, fatiguées, harassées, avaient besoin de repos, J.-J., envie de visiter les montagnes, d’Orbanne et moi, besoin de digérer. Nous laissâmes donc ces dames se reposer sur le sainfoin et la paille fraîche, avec le nourrisson que nous avions porté avec nous et à qui le bain froid n’avait pas été épargné, et nous, nous gravîmes les rochers, nous escaladâmes le vieux mur qui enceint la ville, nous allâmes au-dessus des vignes de Saint-Martin-le-Vinoux, au-dessus du village de Narbonne qui les surmonte pittoresquement, qui est parfaitement romantique. »
C’est ce même beau-frère qui l’incite quelques années plus tard à participer à la rédaction d’un ouvrage en faveur des revendications démocratiques des horlogers révoltés de Genève intitulé Mémoire justificatif pour les citoyens de Genève connus sous le nom de Natifs (1770). L’ouvrage inquiète la monarchie comme le montre la correspondance du résident de France à Genève avec le Duc de Choiseul alors principal ministre du Royaume. Barthélémy et Bovier y défendent le droit du sol et la place centrale du Conseil général dans les institutions genevoises qui correspondent à un idéal de démocratie directe et locale pour de nombreux Dauphinois avides de liberté : « Quant à l’admission au Conseil général, souverain législateur, les habitants d’une année et d’un jour, les partagèrent toujours avec les anciens citoyens. » Difficile de croire que les idées que Jean- Baptiste-Joseph et son beau-frère développaient à Genève n’étaient pas transposables à Grenoble. Les frontières de l’époque ne parvenaient pas à contenir les contrebandiers de livres qui étaient en un certain sens les Mandrins des Lumières. Rien d’étonnant donc à ce que Barthélémy participe directement aux événements révolutionnaires vingt ans plus tard en Dauphiné. Il fait partie des principaux acteurs de la révolution à partir de 1788 et rédige avec Mounier et Duchesne un projet de constitution pour les États du Dauphiné. Il est à noter que la Révolution dans cette province est presque une affaire de famille pour Barthélémy d’Orbanne. En effet, Claude Perier, son cousin issu de germain, est aussi le propriétaire du château de Vizille où se tient l’assemblée des États de la Province à l’été 1788.
Pendant cette période tumultueuse, ils s’adressent quelques lettres au sujet d’affaires familiales qui les relient au Trièves qui fut leur petite patrie commune. La famille Périer vient en effet de la région de Mens.

Dans ce contexte, il est étonnant que Barthélémy d’Orbanne ait refusé son élection en tant que député du Dauphiné pour les États généraux du Royaume de France. Albert Du Boys, son neveu dont le conservatisme politique n’empêchait pas une certaine objectivité, nous l’explique de façon nuancée. Certes, Barthélémy d’Orbanne restait alors attaché à la monarchie française par tradition. Mais cela n’explique pas tout. En s’appuyant sur le récit de quelques « vieillards » qui avaient connu son oncle, Albert Du Boys nous rapporte que Barthélémy d’Orbanne était avant tout inquiet des dérives centralisatrices que pouvait générer la formation d’une assemblée
nationale. Il restait en cela l’homme de la démocratie locale et directe qu’il avait tenté de défendre dans le modèle genevois vingt ans plus tôt. A partir de 1793, Barthélémy d’Orbanne se retira à Saint Martin de Clelles aux côtés de son frère. Il dut apprécier à cette époque la conversation des paysans qu’il avait pour voisins avec la simplicité et la bonhomie du maître ès grimaces que décrivit Stendhal. Ce sont peut-être les Saint-Martinois qui témoignèrent des années plus tard auprès de son neveu de son attachement pour la démocratie locale. Peut-être même que c’est par ces discussions des Saint-Martinois avec Barthélémy d’Orbanne que la démocratie locale a commencé à s’enraciner dans cette commune.

Son nom et l’installation d’une copie de son portrait par l’actuel maire dans les locaux de la mairie doivent nécessairement résonner comme un appel à l’approfondir.

Jean Loup KASTLER
Historien du Dauphiné , doctorant à Paris 1

(1) Les valeurs libérales de Barthélémy peuvent aussi être
rattachées à son engagement maçonnique.